© Hakan Dilman 2018
Qu’est ce que la photographie pour moi ?
Mon père, moi et la photo
La photographie en noir et blanc
Je me souvenais de l’époque où je venais de commencer l’école primaire : Mon père gardait précieusement les photos dans une belle boîte en bois, sans jamais laisser personne les toucher. Elles étaient très précieuses pour lui, aussi précieuses que son petit lecteur de cassettes radio. Nous ne pouvions pas voir et toucher ces photos sans permission, tout comme nous ne pouvions pas appuyer sur le bouton de lecture du lecteur de cassettes radio.

Mon père, moi et la photo
De temps en temps, mon père ouvrait cette boîte de photos comme un livre sacré d’un culte secret. Il faisait attention en ouvrant la boîte et en manipulant chaque photo aussi lentement et doucement qu’il le pouvait, comme si tout mouvement brusque ou rapide allait perturber ce rituel secret de culte, la magie serait perdue, les souvenirs s’effaceraient. Tout en me montrant les photos, il me les lisait avec une émotion intense, jusqu’au plus petit détail de la photo. Ces moments sont restés dans mon esprit d’enfant comme un livre récité avec des mots talismaniques, et ce sont les moments les plus beaux et les plus significatifs que j’ai partagés avec mon père.
Lorsque mon père est décédé à l’âge de 54 ans, je l’ai embrassé avec délicatesse et je l’ai accompagné dans son dernier voyage, lentement et doucement, tout comme il le faisait avec ses photographies… Il n’y a pas de photos de ce moment, seulement des émotions et les beaux yeux bleus fermés de mon père, gravée dans mon cerveau que personne d’autre que moi ne verra jamais et qui disparaîtra avec moi.
Ara GÜLER serait un tournant dans ma vie
Quand j’y repense aujourd’hui, le moment où j’ai compris que c’était un tournant pour moi, c’est lorsque j’ai vu la photographie d’Ara Güler « Enfants à Tophane (1987) » prise à Istanbul. Dans cette photographie, il y a la confiance, l’enthousiasme et la joie des enfants pleins d’espoir d’un quartier ancien, vieux et triste. En d’autres termes, toutes les émotions de tous les enfants se trouvant dans ce cadre se sont rencontrées une par une à travers l’objectif d’Ara Güler et un moment magnifique s’est transformé en une photographie. Sans le savoir, j’ai déclenché un voyage photographique qui allait lentement progresser à partir de ce jour…

Jeux d’enfants à Tophane, Turquie, 1987
L’influence de Béla Tarr : la photographie en noir et blanc
La photographie en noir et blanc
Les plans d’image des films de Béla Tarr, qui montrent le temps et l’espace sans fragmentation, m’ont beaucoup influencé en photographie. Tarr filme la réalité telle qu’elle se présente devant ses yeux. Il utilise principalement le format noir et blanc dans ses films. Il essaie de dépeindre la psyché humaine, vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur. En ce sens, les films que je regardais me donnaient une perspective différente : Le réalisme, le temps, le rythme naturel ! Peut-être que tout cela m’a fait me rapprocher de la photographie en noir et blanc. Tarr a dit, à propos des films en noir et blanc : « … vous pouvez garder une plus grande distance entre le film et la réalité, ce qui est important ».
La photographie est ce qui capture le moment et l’éternité
Si la photographie et le film sont deux outils de saisie de la réalité, je touche la vie à travers mes photographies, car il n’y a plus besoin de « ressemblance », c’est une trace et elle est là. Garder la réalité à travers la photographie afin de la préserver de l’habituel déclin/dégradation ! Contrairement au cinéma, la photographie renvoie à un infini qui ne coule pas, ne tourne pas, ne se transforme pas, ne commence pas et ne finit pas. Trouver la « poésie » dans le réalisme, non pas dans le processus de « transformation » de l’existant, mais dans le processus de réflexion de celui-ci ! La photographie donne également de la valeur à ma vie en ce sens qu’elle touche la vie de toutes les manières.
Qu’est ce que la photographie pour moi ?
Comment va la vie, que se passe-t-il… ? De l’autre côté de la fenêtre qui s’ouvre sur le monde et la vie, j’essaie de comprendre ce qui se passe à travers mon propre objectif et en ouvrant grand les portes de mon monde intérieur, de toucher la vie avec mes photographies dans différentes générations, différentes époques, différentes géographies et différents mondes, d’en arracher des morceaux, de transmettre et de répondre avec des considérations esthétiques.
Et bien sûr, je suis concernée par la création de photographies que les autres liront comme mon père me l’a lu. Il est important d’offrir le sens le plus profond à travers les notions de « sujet », d' »esthétique » et d »humanisme » afin d’offrir un regard en profondeur sur la vie. Je vous propose d’explorer mon univers avec les photographies que je réalise au vue de ces considérations.
Les récits battent les faits. Quand les faits battent-ils les récits ?
Pour moi, la photographie n’est pas d’abord un regard, mais un sentiment, et c’est une façon de capturer, de témoigner du monde ! Elle constitue pour moi un lieu de partage d’expériences, de sentiments et d’histoires dans le monde dans lequel nous vivons.
Mais le point important : Les récits battent les faits. Quand les faits battent-ils les récits ?
Bien sûr, tant que les photographies ne sont pas utilisées comme moyen de manipulation et de propagande dans le contexte éthique, qui est l’une des règles d’or de la photographie.